L’agriculture marocaine à l’épreuve du changement climatique : vulnérabilités et impacts

L’agriculture marocaine à l’épreuve du changement climatique vulnérabilités et impacts
Agriculture durable

Houda ADMOU

Étudiant en ingénierie économique agricole, passionné par le climat

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L’agriculture, incluant l’élevage, est considérée comme un secteur vital de l’économie marocaine constituant environ 15% du PIB du Maroc et représentant 23% de ses exportations. En 2019, elle a généré 69% des emplois ruraux et 39% des emplois à l’échelle nationale, dont 33% dans le secteur primaire de la production agricole et 6% dans les industries agro-alimentaires. (Banque Mondiale, 2021)

Toutefois, plusieurs aléas climatiques et économiques menacent ce secteur vital surtout après la COVID-19. Cette crise a mis la lumière sur la nécessité d’assurer la sécurité alimentaire des Marocains, en tenant compte des tendances de fond qui structurent l’évolution de la demande mondiale pour les produits agricoles et agroindustriels, en mettant davantage l’accent sur les principes de durabilité environnementale, surtout dans un contexte mondiale de changement climatique. (NMD, 2021)

Il est crucial de reconnaître que l’agriculture joue un rôle ambivalent vis-à-vis du changement climatique, se positionnant simultanément comme victime et acteur majeur de ce phénomène. Cette dualité rend indispensable l’évaluation des vulnérabilités du secteur agricole, tout en considérant ses impacts. Une telle évaluation doit couvrir tous les aspects pertinents :

  • Aspect environnemental :

Bien que l’agriculture possède le potentiel d’absorber le CO2 grâce à la photosynthèse qui permet aux plantes de capter le CO2 atmosphérique et de le transformer en matière organique, elle représente également une source significative d’émissions de GES, principalement l’oxyde nitreux (N2O) produit par les microorganismes du sol et les engrais, et le méthane (CH4) généré par la gestion des déjections animales et la fermentation entérique du bétail, notamment les bovins, et à un moindre degré par la riziculture. (BUR3,2022)

Le Maroc a réalisé dans le cadre de la Quatrième Communication Nationale (QCN) du Maroc, huit inventaires des émissions de gaz à effet de serre qui portent sur les années 2004, 2006, 2008, 2010, 2012, 2014, 2016 et 2018. L’Agriculture est responsable de 22,8% des émissions globales de GES en 2018 avec plus de 90% des émissions de N2O et d’environ 62,3% des émissions de CH4. (QCN, 2020)

À l’instar d’autres pays du Sud, le Maroc est confronté à une hausse notable des températures et à une baisse des précipitations, provoquant des catastrophes naturelles telles que la sécheresse, les inondations, la salinisation et l’ensablement. Ces conditions exacerbent la pression sur les ressources naturelles qui sont indispensables au secteur agricole, notamment l’eau et le sol. Si le climat se réchauffe de 2°C par rapport à 1980-2010, la diminution des débits annuels au Maroc serait de plus de 30% dans tout le pays. La durée des jours de sécheresse augmenterait de 50 % entre 2070 et 2099 par rapport à 1976-2005. (Abdelmajid et al., 2021)

Depuis les années 1960, le Maroc a entrepris des investissements substantiels dans le secteur de l’eau (la construction de grands barrages, l’adoption de l’irrigation au goutte-à-goutte …) favorisant  la transition vers des cultures plus productives et une augmentation significative de la valeur ajoutée agricole réelle au cours des deux dernières décennies. Ceci, n’a fait qu’augmenter la pression sur les ressources en surexploitant les eaux souterraines. (Banque mondiale, 2022)

Aujourd’hui, le Maroc est classé parmi les pays à haut risque de stress hydrique étant le 22e le plus menacé et deuxième en Afrique du Nord, juste derrière la Libye[1]. Cette pénurie d’eau reflète la vulnérabilité du Maroc au changement climatique en raison des usages de l’eau qui ne prennent pas comptent de sa rareté. La tarification de l’eau d’irrigation entre autres ne reflète pas le coût réel de la ressource et ne favorise pas l’utilisation de ressources alternatives. (NMD, 2021)

  • Aspect de production agricole :

La plupart (87%) de la production agricole du pays est principalement basée sur les précipitations, ce qui la rend extrêmement sensible à la fluctuation accrue des précipitations, en particulier pour l’orge et le blé. En raison d’une sécheresse généralisée, la récolte de céréales hivernales de 2016 a connu des rendements inférieurs de 70 % à ceux de 2015. La sécheresse stimule également la croissance de la mouche de Hesse, ce qui augmente la probabilité de préjudice aux rendements du blé. Les rendements des cultures pluviales devraient diminuer de 50 à 75 % pendant les années sèches si les températures augmentent. (Banque mondiale, 2021)

D’ici 2050, les projections climatiques basées sur le scénario d’émission RCP8.5 du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) indiquent une réduction des précipitations. Cette diminution pourrait entraîner une diminution des rendements agricoles allant de 3% à 39% dans plusieurs régions et provinces du Royaume. (CDN, 2021)

Les précipitations irrégulières, l’augmentation de l’aridité et de la sécheresse raccourciront les saisons de croissance, réduiront les rendements et réduiront la productivité. De ce fait, la demande d’irrigation augmentera en raison du changement climatique.  En ce moment, 18 % des terres cultivables sont soumises à l’irrigation, soit 1,6 million d’hectares sur les 9 millions d’hectares de terres cultivables. Toutefois, le taux de remplissage des barrages aujourd’hui est de 23.2% (bank Al Maghrib, 2024). Il est inévitable que l’augmentation du stress hydrique entraîne une surexploitation des ressources en eaux souterraines, comme cela se produit déjà dans les régions du Souss, du Haouz et du Saïss. (Banque mondiale, 2021)

  • Aspect économique :

Étant donné l’importance cruciale des ressources en eau dans l’économie du Maroc en tant que facteur de production essentiel pour la majorité des secteurs économiques dont principalement l’Agriculture, les changements dans la disponibilité de l’eau et la variabilité induite par le changement climatique pourraient compromettre les perspectives économiques du pays. (Banque Mondiale, 2022)

Depuis le début des années 2000, la croissance économique du Maroc a repris, mais elle est toujours liée à l’agriculture et à la situation mondiale. L’année 2016 a connu une baisse de    11 % de son économie à cause de la sécheresse.  (QCN, 2020)

Les rendements agricoles des cultures pluviales, qui représentent 80 % des terres agricoles, sont étroitement liés aux précipitations, ce qui fait de l’agriculture une source significative de volatilité macroéconomique. Les variations dans les précipitations expliquent près de 37 % de la variation du PIB à moyen terme, bien que l’agriculture ne contribue qu’à hauteur de 13 % du PIB. La réduction de la disponibilité en eau et la baisse des rendements agricoles dus au changement climatique pourraient réduire le PIB national à hauteur de 6,5 %. De plus, Les épisodes de fluctuations pluviométriques exceptionnelles entraînent des mesures d’urgence pour soutenir les agriculteurs pendant les périodes de sécheresse, ainsi que la nécessité d’importer davantage de céréales lorsque la production nationale est réduite. Par conséquent, les sécheresses peuvent avoir un impact sur le budget national et la balance des paiements surtout lorsque les sécheresses surviennent simultanément avec des chocs internationaux sur les prix des denrées alimentaires. (Banque Mondiale, 2022)

  • Aspect social :

L’évolution démographique est fortement liée aux facteurs climatiques et environnementaux qui influencent les migrations. Lorsque la pression démographique se superpose à une politique inefficace ou inadaptée, cela amplifie l’effet des changements environnementaux sur la viabilité économique des moyens de subsistance ruraux, notamment l’agriculture sédentaire. L’interaction de la fragmentation des terres due à l’héritage et de l’augmentation démographique, observable au Maroc et dans d’autres pays de la région MENA, a conduit à une réduction de la taille des exploitations. En conséquence, ces dernières deviennent moins rentables, voire insuffisantes pour subvenir aux besoins fondamentaux des agriculteurs dans certains cas. (FAO, 2023)

D’ici 2050, les effets du changement climatique tels que la disponibilité en eau et les rendements des cultures pourraient avoir pour conséquence un exode rural d’environ 5,4 % de la population totale. De plus, Les cartes d’aléas et de vulnérabilité élaborées pour différentes villes du Maroc montrent que cette migration climatique devrait renforcer  l’exposition de manière disproportionnée au risque d’inondation des ménages économiquement vulnérables créant ainsi une réaction en chaîne négative entre la pénurie d’eau et l’exposition aux risques naturels pour les populations pauvres et vulnérables (Banque mondiale, 2022)

Références :

 Banque Mondiale. (2021). Morocco Country Profile. World Bank.

https://climateknowledgeportal.worldbank.org/sites/default/files/2021-09/15725-WB_Morocco%20Country%20Profile-WEB.pdf

Abdelmajid, S., Mukhtar, A., Baig, M. B., & Reed, M. R. (2021). Climate Change, Agricultural Policy and Food Security in Morocco. In M. Behnassi, M. Barjees Baig, M. El Haiba, & M. R. Reed (Éds.), Emerging Challenges to Food Production and Security in Asia, Middle East, and Africa (p. 171‑196). Springer International Publishing. https://doi.org/10.1007/978-3-030-72987-5_7

FAO (2023). Climate change, migration and rural adaptation in the Near East and North Africa region. Food and Agriculture Organization of the United Nations. https://www.fao.org/3/cc3801en/cc3801en.pdf

Banque Mondiale. (2022). Rapport Climat et développement. World Bank.

https://openknowledge.worldbank.org/server/api/core/bitstreams/0a549cdc-c5c8-53a0-a570-078800be7e02/content

Secrétariat de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques. (2022). Troisième Rapport Biennal du Maroc. https://unfccc.int/sites/default/files/resource/Morocco%20BUR3_Fr.pdf.

Secrétariat de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques. (2021). Contribution déterminée au niveau national-actualisée. https://unfccc.int/sites/default/files/NDC/2022-06/Moroccan%20updated%20NDC%202021%20_Fr.pdf

Secrétariat de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques. (2020). Quatrième Communication Nationale du Maroc. Nations Unies. https://unfccc.int/sites/default/files/resource/Quatri%C3%A8me%20Communication%20Nationale_MOR.pdf

Commission Spéciale sur le Modèle de Développement. (2021). Notes thématiques, projets et paris pour le nouveau modèle de développement du Maroc. CSMD. https://csmd.ma/documents/Rapport_General.pdf

Bank Al Maghrib. (2024). Revue de la conjoncture économique: Janvier 2024.

https://www.bkam.ma/Publications-et-recherche/Documents-d-analyse/Revue-de-la-conjoncture-economique/Revue-de-la-conjoncture-economique-2024

World Resources Institute. (2019). https://www.wri.org/insights/17-countries-home-one-quarter-worlds-population-face-extremely-high-water-stress

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